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Le rendez-vous ouzbek
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17 janvier 2008

Découverte du buskatchi !

2007_1216buskachi0316Des foules improbables venues à pied, en voiture, à cheval (et ce n’est pas, dans le cas présent, juste une expression), un vallon pelé coincé entre deux collines sur lesquelles elles se perchent, et en bas, des centaines de cavaliers aux équipement hétéroclites allant du kalpak kirghize au casque d’aviateur ou de pilote de char, des bottes traditionnelles aux chaussures canard, des chevaux magnifiques aux harnachement ornés de perles ou de rubans et aux couvertures splendidement colorées. Un énorme bélier décapité qui chancelle au gré du galop du cheval qui le transporte dans les mains de son maître et qu’une horde sauvage et fascinante tente de lui arracher. La grappe hallucinante de cette masse cavalière quiBouskatchi_dim_15 se déplace comme un seul être effrayant et saisissant dans les cris, les coups et la furie. Des cravaches qui volent et s’abattent sur tout ce qui bouge, des bêtes et des hommes qui chutent violemment, se relèvent hébétés et repartent à l’assaut…. Une mêlée immobile, furieuse et grouillante qui se transforme soudain en cavalcade effrénée et en poursuite dantesque fonçant sur la foule qu’elle fend et qui se met à galoper à son tour en tous sens pour fuir la charge. Des sabots qui trépignent dans la poussière mélangés à des mains qui se tendent et se battent pour ramasser la dépouille de l’infortuné ovin guillotiné dans un rituel barbares qui touche à des temps immémoriaux…. Le buskatchi c’est une propulsion dans un monde légendaire, brutal, bestial et magnifique de sauvagerie. Une chute libre dans les dédales du temps ! Une atmosphère unique Bouskatchi_dim_15qui vous prend et de laquelle vous ne seriez finalement même pas surpris de voir soudain surgir les terrifiants cavaliers mongols déferlant sur le monde ! Un buskatchi c’est tout simplement à vivre au moins une fois dans sa vie !

 

Et pourtant tout commence pour nous à Tashkent lorsque nous montons dans le minibus que nous avons affrété à 7 profs de l’école française pour nous rendre à cet évènement, loin des préoccupations ordinaire du commun des touristes en contemplation devant les merveilles de Samarcande et de Boukhara. C’est dans une excitation palpable que nous nous réveillons. Un buskatchi, cela fait maintenant plus d’un an que nous en rêvons et aujourd’hui, enfin, nous nous y rendons ! Nous ne savons pas exactement ce que nous allons voir. Bien sûr nous savons en quoi consiste ce jeu ancestral et2007_1216buskachi0188 emblématique de l’Asie Centrale, mais au fond de nous, nous devinons bien que rien de ce que nous avons pu voir, lire ou entendre de peut nous avoir réellement préparé à ce vers quoi nous nous dirigeons.

La matinée est froide en ce dimanche de décembre mais le ciel est bleu et l’air chargé de cette brume frigorifique qui attend de se dissiper aux premiers rayons du soleil. Nous quittons les barres d’immeubles aux motifs colorés et fonçons 2007_1216buskachi0179droit sur les montagnes enneigées précédées d’une zone de steppe qui commence à nous jeter dans l’ambiance. A Angren nous avons rendez-vous avec un ouzbek francophone qui se chargera de nous guider jusqu’au lieu de l’évènement… Seuls nous n’aurions pas trouvé sans doute ? Et pourtant il nous aurait suffit de suivre ces camions déglingués chargés de chevaux enfouis sous des couvertures comme on protège des trésors, et de leurs cavaliers qui brandissent fièrement le poing et les casques comme des gladiateurs qui partent au combat !

Quittant la « Nationale » nous nous enfonçons dans la campagne vallonnée qui précède les montagnes qui luisent2007_1216buskachi0216 d’une lumière bleutée sous leur encore mince manteau de neige pétrifié de froid. Nous apercevons bientôt une colline hérissée de camions et de Lada aux couleurs improbables, et d’une foule d’hommes à la recherche de l’emplacement idéal. Notre route devient piste brinquebalante sur laquelle défile tout ce que les environs comptent de population, les uns à pieds, les autres à cheval. La tension et l’excitation sont palpables sur les visages, les attitudes, les chevaux eux-mêmes sentent l’ambiance spéciale qui règne, trépignent, hennissent, et c’est jusqu’aux Lada que l’on croirait voir se cabrer !!!

Nous voici à notre tour sur cette colline qui précède un petit vallon pelé et caillouteux tandis que de l’autre côté une 2007_1216buskachi0256autre colline pareillement colonisée sert déjà de gradin providentiel. Le vallon lui-même est quand à lui parcouru par quelques dizaines de cavaliers de tous horizons : ils viennent d’Ouzbékistan, du Kazakhstan ou du Kirghizstan. Le buskatchi vaut bien ces centaines de kilomètres !!! Pour nous, nous déambulons, éberlués au milieu de cette foule et de ces cavaliers majestueux qui maîtrisent leurs montures mieux que nous ne maîtrisons nos propres pieds ! Déjà pris par cette ambiance nous sentons bien que quelque chose d’extraordinaire va se dérouler sous nos yeux ! L’ébahissement et la magie de l’ambiance nous a fait descendre le vallon et nous sommes au milieu de la masse des cavaliers fiers de poser sur leurs montures pour les photos que nous sollicitons et tout heureux de faire cabrer leurs chevaux pour que l’image soit plus valorisante encore.2007_1216buskachi0230

Tout à coup un cri rauque et sauvage dans notre dos, nous nous retournons et pour découvrir un cavalier aux yeux exorbités par son cri lancé qui dans un galop effréné et un énorme bélier sans tête coincé sous sa jambe et contre la selle nous fonce droit dessus. Immédiatement c’est toute la foule des cavaliers qui entre en transe et se lance à sa poursuite se ruant vers nous de tous les horizons… Pour nous c’est la fuite qui nous sort de la trajectoire de cette première charge qui nous passe à quelques mètres suivie de quelques secondes par la forte odeur du bélier… le ton est donné ! Nous grimpons un flanc de colline pour rejoindre la foule et contempler, éberlués, la grappe équestre qui se déplace au galop comme un essaim 2007_1216buskachi0258d’abeilles, s’arrête, grouille dans un tumulte batailleur et soudain repart à la poursuite de celui qui a su arracher la dépouille ovine à la meute et file avec. Ca grimpe un flanc de colline, disparaît et soudain ressurgit pour redescendre au galop et remonter l’autre flanc pour disparaître dans un autre vallon… Nous hallucinons et sommes transportés par ce que nous voyons lorsqu’Ismat, un ami ouzbek, nous annonce que ce n’est qu’un entraînement ou un échauffement ! le Buskatchi n’est pas commencé !!!!!

Et effectivement au fond du vallon d’autres cavaliers sont occupés à disperser de la paille pour former 2 zones circulaires au sol : ce sont les buts ! En effet on pourrait résumer les règles du jeu comme ceci : 1) il n’y a aucune limite de2007_1216buskachi0304 terrain ; 2) le jeu peut se jouer chacun pour sa peau ou en équipe (aujourd’hui ce sera chacun pour soi) ; 3) il s’agira de réussir à s’emparer du bélier sans tête, de l’extraire de la grappe et de déguerpir au triple galop pour aller déposer la carcasse dans un cercle de paille ; 4) le cavalier qui y parvient gagne un lot mis en jeu par l’organisateur du buskatchi, par ses invités ou par n’importe qui d’autre ; 5) le jeu reprend et il faut transporter l’infortunée bête sacrifiée à l’autre rond de paille et ainsi de suite jusqu’à épuisement des lots ; 5) entre les deux tous les coups sont permis ! – En discutant nous apprenons que comme pour tous les sports il y a de véritables « stars » du buskatchi, les cavaliers les plus habiles, les plus intrépides et les plus fous ! Il faut dire que les lots peuvent parfois être conséquents et il n’est pas si rare de pouvoir y gagner une voiture ! Aujourd’hui nous verrons se gagner des vaches, poulains, télés, etc… des lots non négligeables tout de même, c’est d’ailleurs pourquoi des 2007_1216buskachi0300participants sont venus d’aussi loin ! Le buskatchi d’aujourd’hui est organisé par une famille qui fête 2 grands évènements : une circoncision et l’anniversaire d’un type qui a 53 ans, un age sacré puisque c’est celui de Mahomet à sa mort !

Et puis ça y est, ça commence vraiment ! La masse déjà impressionnante des cavaliers qui se disputaient âprement le bélier devient considérable pour atteindre les 300 participants ! C’est une immense mêlée qui s’est formée dont les bruit des sabots qui trépignent est couvert par celui des cris sauvages et des coups de cravaches qui s’abattent sur tout ce qui a apparence humaine, le tout dans un nuage de poussière inattendu dans l’ambiance hivernale du vallon… Impossible de2007_1216buskachi0331 savoir ce qui se passe dans cette orgie virile jusqu’à ce que tout à coup un type probablement roué de coup parviennent à s’extirper de la masse le bélier sous la jambe en s’enfuyant non pas vers le cercle de paille dont l’accès est barré par des dizaines de cavaliers mais en escaladant le flanc de colline opposé au notre derrière lequel il disparaît. Nous n’entendons plus que les cris et le grondement qui nous parvient, on peut supposer que le fuyard a été rattrapé et qu’une nouvelle mêlée s’est formée et que ça y barde gravement. Soudain pourtant la foule s’écarte en courant et c’est à travers les voitures que l’essaim surgit furieusement à la poursuite d’un nouveau fuyard qui dégringole la colline et parvient à déposer le bélier dans la paille sous les acclamations de la foule ! Quelle folie ! Le héro lève rageusement les bras au ciel et accompagne un majestueux cavalier au kalpak kirghize et à la barbiche et moustache blanches qui n’est autre que l’arbitre-chef du jour jusqu’à un camion où est installée la sono qui annonce déjà le lot suivant, là on lui remet un énorme carton contenant une télé qu’il emporte sur 2007_1216buskachi0341son cheval pour aller la déposer auprès d’amis et de redescendre ventre à terre se jeter dans la partie qui a déjà repris.

Les mêlées violentes succèdent aux mêlées démentielles, les cavalcades effrénées aux chutes spectaculaires dont les hommes se relèvent groggy et que les montures excitées s’enfuient au galop poursuivies par d’autres cavaliers qui les rattrapent et les rapportent à leur maître qui saute dessus pour retourner au combat ! Les cravaches s’abattent, les visages s’ensanglantent et l’intensité monte sans cesse d’un cran supplémentaire. Pour ma part je suis tellement fasciné que je neBouskatchi_dim_15 peux m’empêcher de descendre au fond de la cuvette pour m’approcher le plus possible du cœur de l’action où je suis subjugué. Près de la mêlée si on regarde par en dessous c’est une inextricable forêt de pattes qui trépignent et de bras qui se baissent pour ramasser le trophée ovin ou pour abattre des cravaches sur ceux qui s’y essaient. Les cris sont extraordinairement furieux, le sol fume. C’est indescriptible ! Et puis soudain on perçoit un mouvement dans ce grouillement qui s’ouvre pour laisser sortir le cavalier téméraire qui a20 mètres su charger l’animal sous sa jambe et sous les coups pour prendre la poudre d’escampette. Si c’est de mon côté que la meute s’ouvre il est temps pour moi de prendre mes jambes à mon cou sur 10 ou 20 mètres,    le temps de me sortir de la trajectoire de ce cavalier poursuivi par les 300 autres. Le bruit de la cavalcade est impressionnant mêlé qu’il est aux cris guerriers et rauques de 300 fous à cheval, le sol tremble sous mes pieds, l’odeur des 2007_1216buskachi0255chevaux en sueur se mêle à celle très forte du bélier mort qui m’attrape et me dépasse comme les font les chevaux.

Une fois de plus la masse disparaît derrière la colline, le son de la fureur seul nous parvient et soudain nous voyons la foule s’écarter dans un sauve qui peut général pour laisser passer la charge furieuse qui surgit entre les voitures en les frôlant, un fuyard au bélier en tête avec des grappes de cavaliers accrochées à ses rênes, à la queue de son cheval ou plus simplement à sa poursuite. Cette avalanche équestre se ruent dans la pente, traverse le vallon et remonte l’autre versant pour2007_1216buskachi0350 fendre une autre foule en débâcle et disparaître derrière d’autres Lada… Le bélier échappe alors au fuyard et la bataille redevient statique et les coups redoublent jusqu’à ce qu’un autre intrépide ne parvienne à voler la bête décapitée (mes observations m’ont donné la certitude que cette décapitation n’a rien d’un quelconque rituel mais a pour unique but d’éviter que l’animal qui brinqueballe de tous côtés lors des cavalcades ne blesse les chevaux avec ses cornes). Un nouveau héro parviendra à déposer la carcasse dans le cercle, un nouveau lot est mis en jeu et la bataille reprendra !

2007_1216buskachi0312Alors que je suis à 20mètres d’une mêlée je suis intercepté par l’arbitre-chef qui me demande d’où je viens. De France ? Et il m’empoigne le poignet pour me tirer derrière lui en remontant la pente, je ne marche pas, je vole derrière son cheval, comme tiré par un tire fesse ! En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire je me retrouve devant la sono et avec un micro sous le nez : ils veulent un discours ! me voilà frais !!!... Entouré par une foule ouzbèque je me dispense d’essayer de parler russe et leur fait un beau discours en français auquel ils ne comprennent rien mais dans lequel je prends soin de placer régulièrement les mots « ouzbek » et « ouzbékistan » puisqu’à chaque fois que je les prononce j’ai droit à une ovation. Je crois que c’est fini mais non, un interprète débarque et je suis bon pour un second discours immédiatement traduit par l’autre. Et une fois terminé, on me brandit sous le nez une grande tasse de vodka !!!.... C’est l’honneur dela Francequi est en jeu ! Sous les acclamations je me la descends cul sec redoutant qu’on m’en serve une seconde. Mais non, je suis libéré sous les2007_1216buskachi0380 tapes amicales dans le dos tandis que le maître de cérémonie me glisse 10.000 soums (6 euros) dans la main que dans un réflexe j’essaie de refuser, mais je comprends immédiatement que ça le vexerait et le remercie donc.

Et de me replonger dans l’extraordinaire spectacle de ce jeu (sport ?) ancestral de mêlées en cavalcades nous laisse entrevoir les charges furieuses des hordes mongoles lorsqu’elles faisaient trembler le monde jusqu’en Europe !

N’empêche que moi je pourrais désormais me vanter d’avoir gagné 10.000 soums dans un buskatchi !!! Ca pète non ?!!! Rien ne m’oblige à préciser comment…

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