Au taquet entre Song Kol et Jumgal (12 juillet 2007)
Réveil
matinal : il pleut… Pas le genre de truc qui enchante beaucoup au petit
matin et c’est Marion qui se lève la première ce qui en dit long sur mon degré
de motivation ! Nous plions la tente toute mouillée ce qui est sans importance
puisque ce soir nous sommes censés dormir en dur. Pas de petit déj ce matin si
ce n’est un Aspégic pour moi qui me suis levé avec mal au crâne. Alors que nous
démarrons le soleil fait un timide retour dans un ciel néanmoins globalement
moche lorsque nous levons le camp.
L’absence
totale de motivation est flagrante sur nos visages respectifs ce qui se
manifeste rapidement par une idée honteuse : et si nous dégotions le
camion de Randonnée Céleste pour leur demander de nous descendre à Kyzart par
la route puisque c’est leur destination du jour à eux aussi ? Et voilà
comment au lieu de filer vers les montagnes nous nous retrouvons de nouveaux
face au lac et atteignons des yourtes où nous cherchons des informations sur
l’endroit où nous serions susceptibles de trouver le camion qui n’a pas pu
passer inaperçu. - Soucieux de ne pas passer pour des crevards nous avons
élaboré un scénario ridicule pour justifier notre renoncement : je suis
censé être malade… Aussi je m’applique à prendre un air contrit tandis que Marion
s’informe de la position du camion orange. Mauvaise nouvelle puisqu’on nous
annonce qu’il est parti depuis la veille ! Mais nous n’avons pas tout
perdu puisque nous voilà heureux gagnants d’un coup de koumis matinal avec des
vieux magnifiques et extrêmement sympathiques ! L’un d’entre eux, outre
l’inamovible kalpak, la barbiche blanche et le long manteau arbore aussi de
magnifiques bottes en laine tassée enfilées dans des sortes de sabots en
caoutchouc noir(genre sabots de jardinage). Pendant ce temps un autre vieux,
forcé de se rendre à l’évidence, confirme ce que chacun sait déjà : je
suis très beau ! Et c’est avec une rare justesse que seule la sagesse
apportée par les années peut permettre, il décrète que Marion est une sacrée
veinarde ! Quel homme merveilleux…
Sur ces entre faits surgit un occidental
complètement déjanté qui se met à déblatérer dans un kirghize parfait (je
repère bien une ou deux petites erreurs de syntaxe, mais bon, rien de grave…)
avec les vieux dans des explosions de rire. Mais heureusement ça n’a pas l’air
d’être à notre dépend. Visiblement ils se connaissent bien et ils déconnent.
L’occidental est en fait un américain qui vit au Kirghizstan et qui prépare une
thèse de géologie sur la cuvette lacustre du lac Song Kol ! Il y a des
gens vraiment surprenants sur cette terre !
Quand à nous
nous n’avons plus qu’à repartir d’où nous venons et à attaquer la montée vers
le col Uzbek que nous voulions esquiver. La remontée du fond de vallon tout
plat est facile mais fastidieuse ce qui n’arrange rien à notre volonté. Lorsque
nous arrivons au fond nous tombons sur des yourtes d’où des enfants jaillissent
et s’alignent en nous demandant de les prendre en photo dont nous leur montrons
le résultat sur l’écran LCD pour leur plus grande joie. Quelques centaines de
mètres plus loin nous tombons sur une nouvelle yourte hantée par une vieille
mamie dont l’age doit se mesurer en siècles et qui a la particularité notable
d’être entourée d’oies et de dindons, bétail pour le moins inhabituel dans les
montagnes kirghizes. – La suite du parcours nous offre encore une longue et
fastidieuse montée sans grand intérêt juste égayée par quelques troupeaux de
moutons et de chèvres d’une curiosité maladive. Sans intérêt j’exagère un peu
car au fur et à mesure de notre montée la vue sur le lac (dans notre dos)
serait probablement extraordinaire si nous avions la chance d’avoir un temps
clair et ensoleillé ! Ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui.
Lorsque le
vallon s’ouvre en une large vallée qui se divise en 3 ou 4 branches
différentes, l’absence de motivation, la lassitude et la flemme me font
renoncer à la nécessité de sortir la carte et c’est donc au jugé que nous nous
dirigeons vers un petit col par une petite sente qui monte sur notre droite.
Mais comme tout se paie en ce bas monde c’était bien entendu à gauche ! Lorsque
nous débouchons sur le col en question c’est pour constater que de l’autre côté
c’est un nouveau vallon qui redescend lui-même sur… Song Kol ! Dégouttés à
l’avance par l’idée de redescendre pour remonter nous optons pour une longue traversée
vers un nouveau col que nous distinguons sur notre gauche, col qui nous amène à
un troisième vallon qui descend sur… Song Kol ! C’est un complot !!!!
Seule
consolation, nous voyons clairement cette fois, et toujours à guche, un gros
col un peu en contrebas mais clairement marqué entre 2 petites pitons rocheux et
surtout parfaitement orienté, dans lequel passe un sentier bien marqué. Un œil
sur la carte et j’en conclue qu’il s’agit du second col Uzbek (il y en a deux
qui portent le même nom), nous nous somme rallongé de 5 bons kilomètres… Et
cela nous coûtera encore une nouvelle traversée facile mais fatigante pour les
chevilles. - Bien avant d’atteindre le col visé nous atteignons la ligne de
crête d’où nous distinguons enfin les villages de Kyzart ! Dans un soucis
d’économiser notre énergie nous avons tôt fait d’élire un vallon qui descend
droit sur le village, mais aussi parce que les nuages bas qui courent sur les
pentes nous font craindre de nous faire prendre dans le brouillard et de ne
plus rien voir. Aussi nous basculons dans la pente raide qui descend dans cette
vallée, une descente qui s’avère rapidement super chiante. Après les toutes
petites caillasses qui se dérobent sous le pied et glissent c’est une
interminable zone d’arbustes épais (mi-cuisse) dans lesquels il faut se frayer
un chemin, ou d’herbes glissantes qui
dissimulent des éboulis pénibles. Pendant plus d »une heure nous
descendons ainsi, à tâtons, soucieux de nous pas nous bousiller une cheville
ici !
Enfin nous
atteignons le fond du vallon sur un petit replat où nous tombons sur des
sentiers qui partent dans plusieurs directions. C’est le troisième que
nous élisons et que nous suivons enfin tranquillement sur des sentes
confortables et peu pentues dans un joli petit vallon verdoyant sur lequel nous
finissons par tomber sur 2 yourtes. LES yourtes dont la plus éloignée,
totalement moyenâgeuse, a la particularité d’être entourée de murets et
d’enclos en pierres ainsi que d’une étable en dur !
Notre
cheminement passant à côté de la première yourte ça ne rate pas : nous
sommes invités pour le koumis ! Marion ne le sens pas en demande plutôt du
thé : « d’accord ! Après le koumis ! »…C’est une
yourte d’un autre monde ! A l’intérieur y règne sans partage une épaisse
fumée étouffante car le tuyau d’évacuation du poêle comporte d’énormes brèches.
La porte d’entrée est à deux battants en bois dont l’un est à plat sur le
sol. L’entrée est encore en terre battue à laquelle succèdent des peaux de chèvres ultra-dégueulasses ; à gauche
de l’entrée et par terre un tas de fringues crados attend qu’on veuille bien l’utiliser,
un vague pliage laissant croire qu’il s’agit du linge propre bien que des bottes pleines de merde y soient ensevelies…–
Nous sommes invités à nous asseoir à la table basse sur des peaux de bêtes
pourries et nous pouvons détailler le reste de la yourte : derrière nous
une sorte de lit pliant émerge péniblement d’une pile de couverture et édredons
crasseux ; dans un coin est posée une antique machine à coudre
qu’utilisait probablement déjà sa propre arrière-grand-mère ; une table de
chevet sert de meuble de cuisine et supporte une bassine pleine d’instruments
rafistolés au scotch ; à côté un 1er baril en bois est suivi
d’un 2ème surmonté du bishkek (mécanisme qui sert à remuer et battre
le koumis et qui a donné son nom à la
capitale kirghize) ; enfin il y a le poêle tout aussi percé que son tuyau
d’évacuation sur lequel est posée une écuelle à gorets, une autre écuelle est
posée à côté et est remplie d’huile dans laquelle baigne un morceau de merde,
derrière le poêle enfin il y a un sac à merde séchée.
La mamie qui
nous a invité est vêtue d’une jupe aux motifs kirghizes (vous vous en seriez
douté) qui est fendue devant sur un pantalon, sa tête et ses cheveux sont
enveloppés dans un foulard vert sale. Elle est débordante de gentillesse et
nous sort un pain succulent avant de ramper par dessus Marion et sous le lit
pliant pour y attraper un seau de crème fraîche, puis vient la confiture
délicieuse elle aussi. Un touriste ici, c’est carrément du jamais vu ! Il
faut dire que nous y avons atterri suite à de nombreuses erreurs … Elle est
donc ravie avoir avec elle et s’arrache les neurones pour rassembler les
quelques mots de russe dont elle peut se souvenir et se lance dans le récit de
nombreuses anecdotes auxquelles nous ne comprenons absolument rien mais pour
lesquelles nous avons compris qu’il fallait rire à la fin.
Pour notre
confort elle attrape un morceau de merde, le casse à grands coups de marteau,
le trempe dans l’huile et l’enfourne dans son poêle asthmatique qui nous crache
alors une suffocante fumée dans les narines et dans les yeux. Elle y pose alors
une gigantesque gamelle d’eau pour préparer le thé, puis lave des tasses dans
une bassine remplie d’eau de chaussette et se fend même d’un brin de ménage qui
consiste à ramasser 2 merdes et à suspendre des jumelles qui traînaient dans un
coin et à brasser un peu de terre battue avec un balai dont il ne reste guère
que le manche
Vient alors
l’heure du koumis et je ne cache pas que nous craignons le pire… D’abord la
brave mamie se plante devant le second baril de bois et passe un lacet dans une
poulie du bishkek qu’elle se met à agiter frénétiquement en tirant
alernativement et vigoureusement sur les deux extrémités du lacet, le système
de poulie active alors une sorte de battoir dans le baril et remue le koumis.
Ca, c’est fait ! – C’est alors qu’après avoir cherché en vain quelque
chose du regard dans la yourte elle défait son foulard vert crasseux des ses
cheveux et l’installe au dessus d’un seau et s’en sert de tamis pour le koumis
qu’elle y verse à la louche… Les grumeaux ainsi recueillis sont réexpédiés dans
le baril, puis toujours à la louche elle nous rempli 2 pleines tasses de
breuvage ainsi tamisé… Le cœur n’y est pas mais il nous faut bien faire bonne
figure, nous le buvons dans la crainte qu’elle nous resserve. C’est le koumis
le plus fort que nous ayons jamais bu et que le thé fera passer.
Nous discutons
de notre mieux avec ses quelques mots de russe et les notre encore moins
nombreux. Elle nous parle de sa vie ici et aussi de son fils dont elle est très
fière : « il a tout ! Des moutons, des vaches, des chevaux
et une yourte ! Il a tout ! Au village il a même une télé avec 20
chaînes ! Non 40 !... Il a tout ! »… Elle est
attendrissante et comme toutes les mamans fière de son rejeton. Avant que nous
levions le camp elle nous explique longuement le chemin en nous montrant le
village complètement blanc en contrebas et en prenant comiquement une maison
blanche comme point de repère ! Elles sont toutes blanches…- Quoiqu’il en
soit nous partons, attrapons un bon sentier qui suit le faîte d’une petite
crête à partir duquel nous coupons tout droit sur un superbe cimetière dans une
ambiance de pampa (dixit Marion).
Sans l’avoir
voulu nous nous retrouvons à traverser un champs d’orge en faisant tous les
efforts du monde pour en piétiner le moins possible, traversons un ruisseau sur
un tronc d’arbre incliné et glissant et tombons sur une large piste qui file
droit sur le village et sur lequel nous croisons deux jeunes gars vautrés à
même le sol avec une faux. A priori ils font une pause dans leur travail de
fauchage d’un champ absolument gigantesque ! Ils n’ont pas fini demain les
types ! En tout cas ils sont fiers de poser pour la photo et ne
s’expriment qu’en nous hurlant à bout portant dans les oreilles et en kirghize…
Après quelques
minutes nous atteignons enfin le village de Kyzart au niveau de son cimetière
que je pars explorer alors que Marion qui n’en peut plus préfère se poser dans
l’herbe. Les tombes sont une succession de belles et surprenantes enceintes de
torchis décorées de croissants musulmans ou pour les plus anciennes d’étoiles
rouges, de faucilles et de marteaux… Ces enceintes clôturent des tumulus au
sommet desquels est posée une grosse pierre ainsi que 3 bouts de bois dont la
symbolique m’est inconnue. En tout cas ces cimetières sont absolument
magnifiques. – Je rejoins alors Marion et nous repartons dans les rues en terre
de Kyzart en demandant notre chemin à un jeune garçon qui nous indique un
sentier qui va nous permettre de rejoindre le centre du village ; tandis
que nous nous éloignons je le remarque qui nous suit curieusement à distance.
J’ai vite compris pourquoi lorsque nos débouchons sur une petite rivière
traversée par une très étroite poutrelle en guise de pont duquel débouchent
précisément une jeune fille et sa petite sœur. Notre indicateur nourrissait
probablement le secret espoir de nous voir nous vautrer dans l’eau ! Il en
sera pour ses frais car Marion ne veut pas traverser et nous battons en
retraite pour faire un long détour pour trouver un vrai pont qui existe
nécessairement puisqu’il y a des voitures.
Une reculade
qui est aussi un bien puisque c’est ainsi que nous tombons sur une baraque avec
un panneau du Shepper’s Life, un organisme plus ou moins affilié au CBT je
crois, bref, une guest-house. Nous sommes fatigués et comme un chauffeur de
Lada nous demande pas moins de 1500 soms pour aller à Kochkor (soit 30
euros ! Un sacré arnaqueur qui pour 0 som va se faire voir) nous
n’hésitons pas longtemps avant de frapper à la porte. Nous y sommes accueillis
par les enfants de la famille car visiblement les parents sont absents, mais
ils se font fort de faire les choses comme il se doit. Aussi sommes nous
aussitôt installés à la table du salon où l’on nous apporte fièrement de quoi nous
restaurer et l’inévitable thé ! Pas de koumis, encore moins de grézia,
c’est le bonheur ! – Finalement une femme, la mère, finit par faire son
apparition sans doute de retour des courses ! Elle semble satisfaite du
traitement qui nous a été assuré par ses enfants et s’attable avec nous pour
discuter de nous et de notre périple puis elle extirpe un gros cahier pour nous
montrer les mots laissés et les photos expédiées par leurs précédents
visiteurs. Elle nous explique qu’habituellement ils ont également une yourte
d’hôte au lac Song Kol mais exceptionnellement pas cette année pour une raison
que nous n’avons pas comprise.
Comme nous
demandons s’il est possible de se doucher elle nous accompagne à la cour
intérieure à laquelle aucune habitation kirghize ne déroge pour nous montrer
les différentes portes qui dissimulent les chiottes et le bana tout en nous
mettant en garde contre leur con de chien, surtout si nous avons une expédition
à mener aux toilettes la nuit. Evidemment je pense immédiatement au chien du
potier de Rishtan au Fergana (Ouzbékistan) et à l’anecdote croustillante que certains connaissent !!! Outre les
commodités aménagées là où il y avait de la place la cour abrite aussi un grand
jardin potager, un enclos à moutons et attachée à la patte par une ficelle un
jeune faucon ! – Au bana les choses sont remarquablement bien organisées
avec des armoires individuelles et numérotées, des bassines également
numérotées, on se croirait au Carlton ! Sinon c’est un bana comme un autre
avec notre mélange de=’eau chaude et d’eau froide à faire, etc, etc…
Le repas sera
tardif mais copieux avec une double ration d’une soupe de bûcherons, celle qui
est bien grasse avec plein de trucs dedans et qui vous cale pour la nuit ;
puis on nous installe des matelas au sol, comme sous les yourtes, les
couvertures et les édredons et nous voilà partis pour une excellente nuit.